L’Inde. Un pays, une culture, des couleurs, des religions. Un melting pot de genres et de styles, de paysages et de villes. On en tombe melancoliquement amoureux, ou l’on en reste eternellement detache. Une frontiere fine, dont un pas suffirait a la franchir, mais quel pas!
Ce pays est schizophrene, maniceen, tant dans ces mythes que dans son quotidien. Quoiqu’il en soit, c’est une aventure a vivre. Pour decouvrir le bonheur d’ailleurs, ou reflechir a ses propres chances.Une lassitude morne fond sur les visages, contrastant les sarees barioles et les sourires de facade. Des yeux profonds qui te jugent, t’haissent, t’admirent et te redoutent. Dans un univers en demi-teinte, entre la folie capitaliste du progres pour le progres et des traditions ancestrales se repetant a l’infini. La-bas, ils naissent avec la certitude des lendemains meilleurs, et meurent avec un gout amer sur la langue, une poussiere acre et tenante, persistante de peur et de larmes.
Le future de ce pays est encore a ecrire, mais l’on sait, deja, qu’il ne sera pas rose.
Le premier pas pose en Inde n’a pas ete deroutant. Ni les premieres minutes. Ni les premieres heures. Comme souvent, l’excitation haletante du voyage t’aveugle autant qu’elle t’emerveille. Tout te parait neuf, different et abordable. Meme si cela peut te choquer, te faire peur ou te sentimentaliser.
Le vrai ressentiment vient bien après. Une piece tombe, une goutte d’eau inonde le Gange, et tes yeux s’entrouvrent sur cette effroyable realite: L’Inde n’est pas abordable. L’Inde n’est pas ce pays aux milles danses, aux tissus debordants de pigments. Il n’est pas ce pays de sourire, des enfants courants après des ballons et des reves imaginaires. L’Inde n’est pas la plus grande democratie du monde. L’Inde n’est pas belle. C’est dur a encaisser. Une illusion de Pere Noel trop tot avouee. Mais j’espere changer d’avis, reellement.
Cela n’empeche pas, malgre tout, de profiter du pays. Il y a eu des moments de pure magie, que seuls les indiens ont la possible foi d’offrir. Des mains se sont serrees, des longs regards qui en disent beaucoup plus se sont echanges, entre de la curiosite mutuelle, face a ce grand ecart inter-culturel, et la crainte. Les rires francs existent et il suffit de passer le pas de notre confort d’expatrie pour s’en rendre compte. Quand tout va mal, quand ce pays t’a aspire jusqu’a ton dernier souffle d’energie, un acte desinteresse de gentillesse, un furtif moment de partage peut d’un seul coup te remettre sur pied. Te permettre d’affronter pendant quelques temps encore cette jungle de klaxons, de pollution et de mains tendues. Et ces furtifs moments deviennent une chaine, un fil d’Arianne qui nous permet de rester droit, de ne pas nous perdre en chemin.
Pouvons-nous leur en vouloir? Oui serait tellement simple et tellement vrai aussi. Il y a mille raisons de leur en vouloir quotidiennement. Les arnaques, le traffic, les bruits incessants. Mais cela reste tres egoiste. Il faut leur pardoner, comme ils nous ont pardonne depuis longtemps d’etre ce que l’on est a leur yeux: froids et impassibles, superficiels et non-croyants, impunement riches et vulgaires, buveurs d’alcool et non de the, venant de pays ou l’on se marie par amour ou par certitude d’amour, pour se separer un peu plus a chaque epreuve. Ils ont pardonne car, meme ancres dans leurs moeurs a oeilleres, ils en gardent les bras grands ouverts et le Coeur bien place. C’est a dire dans la poitrine, pas dans la tete ou sur la main, entre les cuisses ou ailleurs.
Souvent, au debut, je me suis persuade que nous avions beaucoup a apprendre des Indiens. Puis j’ai cherche. Et je ne trouvais rien. L’organisation structurelle du travail est une vraie calamite. La distribution des taches est du meme accabi. L’hygiene est negligee, la politique corrompue, les soins de santé inexistants, l’insecurite constante, un gap immense entre les riches et les demunis, une classe moyenne fantomatique. Pas de tri ni de ramassage des dechets. Pas de transports publics efficients. Le prix de l’immobilier qui gonfle et personne pour l’acheter. Il est clair, que d’un regard exterieur, pratique, monetise, organise, en gros, europeen, c’est la merde.
Mais les Indiens ont cultive d’autres terres, ont construit les immeubles les plus grands du monde, ont invente les plus belles choses, au fond d’eux-meme. Chaque Indien est un chateau, un temple, un gateau cinq etages dont la cerise est le bindi, pose negligement sur le front. L’endroit parfait ou les chakras sont les plus forts. Un troisieme oeil visionnaire qu’ils ouvrent et ferment, a leur guise, sur les choses de la vie. L’organisation n’a plus d’importance lorsque la paix et la foi interieure transforme chaque citoyen en pelerine du bon, du bien. Difficile a incarner, complique a saisir, facile a juger. S’ils vivent bien sur la meme planete que nous, leur ame en est a cent lieues! Car il en faut de la foi pour croire a cet ensemble de mythes. Melange de guerre de divinites, d’histoires familliales, entrecroisant animaux et humains dans des receuils d’ages. Les Indiens me surprennent. Je n’arrive pas a saisir si leur incroyable bonte, leurs sourires a ecarter deux etaux est naturel ou pas. En fait, si. Je crois que cela est naturel, et c’est cela qui est surprenant. Alors qu’il m’est difficile de me souvenir de mon dernier acte completement desinteresse, eux le font a chaque instant. C’est ici que je regrette d’avoir, des ma plus tendre enfance, et ce du aux alleas d’une education occidentale, oublie l’autre. Rendre l’autre fantomatique, impalpable, un tableau mu par le quotidien, monochrome et ininteressant. Respecter et prendre conscience de l’autre, c’est bien evidemment prendre conscience de sa propre existence. Prendre soin de l’autre, etre a l’ecoute, donner du temps, c’est s’aider soi-meme. Etre sans doute egalement mieux dans sa peau.
Personne ne pourrait se lasser de ce Bonheur pour le Bonheur, cette simplicite d’ame qui rend definitivement les choses completement plus faciles, moins conceptualisees, plus dans l’air du temps. Depuis les premieres lignes ecrites, plus d’un mois s’est deroule, la bruyante Pune et sa fatiguante routine a fait place au Kerala des montagnes, dont le silence profond m’etonne encore. Dans tous les cas, je peux dire que je me suis trompe. Ou plutot que je suis rentre dans des stereotypes. Pune n’etait definitivement pas la meilleure des destinations du pays. Elle nous a endormi, rendu inconscients et inaptes a profiter de la culture. On en etait venu a detester les Indiens!
NB: A la relecture, et revenu en Belgique, je ne sais toujours pas dire si l’Inde est belle ou pas.
PS: J’ai ramene beaucoup de choses de ce pays, mais egalement un pc avec un clavier qwerty. Desole pour le manque flagrant d’accents!